• DATE DE NAISSANCE : 05/07/1989 • MESSAGES : 435 • DATE D'INSCRIPTION : 03/08/2009 • LOCALISATION : L.A - University • EMPLOI : Etudiante • HUMEUR : Joyeuse &Amoureuse ♥ • AGE : 34
Sujet: Help-me ! Mer 30 Sep - 15:14
Cirque Bulgare • Vampire
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CIRQUE BULGARE • VAMPIRE
« Mesdames, mesdemoiselles, messieurs ! Restez bien calés au fond de votre siège, puisque le spectacle que vous allez voir vous ébahira, vous estomaquera, vous coupera le souffle. Fabricant d'imaginaire, marchand de rêves et créateur de magie, voici, pour la première fois depuis son retour de Bulgarie, l'incroyable, le fantastique, l'unique Cirque Valentinov ! »
C'est sous un tonnerre d'applaudissements que je les vis prendre place au centre du chapiteau. J'étais à peine âgé de douze ans quand mon père m'amena voir le cirque. Nous étions à Chicago, en 1924. C'étaient les années folles et les États-Unis d'Amérique s'animaient sous des airs de jazz, de blues et l'avènement du cinéma. C'était l'ère des cabarets, du Charleston, une ère lumineuse, une ère glorieuse et les rues, baignées par la nuit, ne furent jamais aussi achalandées. À cette époque, les affres de la prohibition ne pouvaient parvenir à nous enchaîner à une vie conservatrice et dépourvue des plaisirs d'un cabaret enfumé et d'un bon morceau de jazz vibrant. Bien entendu, je ne connaissais pas la sensation ressentie lors d'une soirée de cabaret, je n'avais jamais connu la saveur d'une cigarette alors qu'on partageait une danse avec une femme, je n'avais jamais éprouvé le sentiment d'allégresse qui précède un solo de saxophone, mais j'avais vécu ces choses à travers les récits de mon père, à travers les odeurs qui s'éternisaient sur sa chemise alors qu'il rentrait et venait me border dans mon lit.
Ma mère était morte depuis longtemps : elle avait succombé à la grippe espagnole en 1918. J'étais âgé de six années bien comptées, je n'avais pas saisi ce qu'était la mort réellement. Aujourd'hui, après six années passées, je ne me souvenais que de mon père, je n'aimais que mon père. Il était la seule famille qui me restait et j'étais la seule famille qui lui restait. Nous avions l'habitude de passer de bons moments ensemble : tous les lundis, je l'accompagnais au cinéma. J'étais affamé de faste et d'éclat, les images plus grandes que natures nourrissaient mes plus grands fantasmes, me jetaient de la poudre aux yeux et j'en étais charmé. Et puis, lorsque le Cirque Valentinov revint en ville, après quelques années d'absence et un passage glorieux aux États-Unis en 1920 aux dires de mon père, je priai celui-ci de m'y amener.
Je les vis prendre place au centre du chapiteau. Sous les feux des projecteurs, ils m'apparurent avoir l'éclat adamantin du diamant. Ils s'avançaient avec un synchronisme irréel, féérique : délégation de spectres à la peau diaphane, vêtus de paillettes, de tissus exotiques, le visage masqué, des coiffures sorties des imaginations les plus fertiles. Puis, alors qu'ils entonnaient une litanie et que leurs voix s'élevaient tel un chœur céleste, une dame s'avança. Elle était plus belle que tous les autres, à moins que ce ne soit l'impression que je ressentis en la voyant. «Pour votre plus grand plaisir, mesdames et messieurs, veuillez rendre hommage à notre plus grande funambule : Kataryna Valentinov !». Mes yeux se portèrent sur la corde, puis sur la funambule qui s'apprêtait à franchir les quelques mètres qui la séparaient de sa destination. Je retins mon souffle. Elle s'élança. La grâce avec laquelle elle bougeait me coupa le souffle. J'en étais médusé. Jamais je n'avais vu d'être humain se mouvoir avec autant d'allégresse, d'adresse. Elle était aérienne, elle volait sur la corde raide.
À la fin du spectacle, nous restâmes assis dans la salle, mon père et moi. Je discutais vivement, m'émerveillant du spectacle qui s'était déroulé sous mes yeux jouvenceaux. Puis, à mon grand étonnement, un homme vint nous voir. Il nous confia, avec un fort accent que je devinai être bulgare, que Kataryna Valentinov voulait nous voir. C'est avec un empressement non dissimulé que je demandai à mon père si cela était possible. Celui-ci accepta. La funambule s'avéra être une dame élégante, distinguée, qui nous remercia chaleureusement de notre venue et nous donna des laisser-passer pour le prochain spectacle.
Lorsque nous quittâmes le chapiteau, j'étais déjà charmé par les illusion du cirque, par la magie de Kataryna Valentinov. J'étais tombé dans la spirale infernale, dans une obsession incontrôlable qui, comme un démon, me guettait dans les moindres situations. J'assistai à toutes les représentations. Je les suivis même en tournée. J'étais un éternel spectateur qui goûtait à grandes goulées au faste du spectacle, à la féérie de chaque regard posé sur Kataryna Valentinov.
Les années passèrent et je devins adulte, puis vieillard. Le spectacle ne cessait de me subjuguer, de m'enlever chaque fois un autre morceau de raison pour me lancer dans un monde où l'illusion régnait. Kataryna, celle que j'avais aimée de loin, de vue, pendant toutes ces années ne vieillissait pas. Sa peau avait gardé la même teinte adamantine, le même éclat, la même fraîcheur. Son visage, ses yeux, sa gorge, n'avaient souffert les affres du temps. Elle était immortelle, tout comme le reste de la troupe.
J'avais quatre-vingt années comptées lorsque je vis de mes yeux mortels mon dernier spectacle du Cirque Valentinov. Il se produisait à Chicago, dans ma ville natale. Nous étions en 1992. Les années folles étaient loin, pourtant la ville vibrait au même rythme et le chapiteau était rempli, comme jadis. Lorsque le spectacle prit fin, j'allais quitter le chapiteau, dernier à quitter l'endroit, comme à mon habitude, alors que je fus appelé auprès de Kataryna : « Cela fait longtemps que vous venez nous voir, James... Nous sommes heureux d'avoir pu vous compter parmi nos plus fervents spectateurs ». Je ne me souvenais pas lui avoir un jour dit mon nom. Sa voix était la plus belle de toutes : éthérée, douce et chaude à la fois. « Vous êtes si belle. Comment avez-vous pu éviter les affres du temps ? ». Elle eut un sourire, me pris par le bras. Je n'avais jamais ressenti un contact aussi froid. « Vous avez été si fidèle à nous que j'ai décidé de vous offrir un cadeau... ». Elle fit durer le suspens. Je comptai les secondes. «Je vous offre l'immortalité, James. Aujourd'hui et pour toujours...Si vous acceptez, vous pourrez assister éternellement à nos représentations.». Alors que la fuite du temps m'était exposée au grand jour par ses traits frais et jeunes, je pris soudain peur. Allais-je laisser la vie me filer entre les doigts ainsi ? Je plongeai mes yeux dans ceux de Kataryna : ils étaient brillants, les miens avaient perdu leur éclat de jeunesse depuis longtemps. Devant la mort, l'Homme est bien forcé de s'accrocher à la vie...Ce que je fis.
Il y a 17 années, aujourd'hui que j'ai fais le choix fatidique. J'étais acculé au mur, me demandant si je devais choisir la mort ou la vie, la jeunesse éternelle ou la vieillesse qui me rapprochait de jour en jour plus près de ma tombe. J'avais quatre-vingt années bien comptées, j'ai depuis retrouvé l'éclat de ma jeunesse, le visage de mes vingt ans. Le Cirque Valentinov se produit encore. Il a élu domicile à Chicago. J'y retrouve un goût d'année folles, un goût de la gloire lumineuse de Chicago à l'époque où la ville vibrait sous les airs de jazz. Je n'ai jamais pu oublier Kataryna. J'y pense chaque jour de mon existence immortelle. Mais elle n'est pas à moi, Kataryna appartient à son art, à la Bohême, elle appartient à la Mort qui lui a insufflé un second souffle de vie. Une vie illusoire, vêtue de paillettes et de tissus exotiques, une vie à saveur de Cirque éternel, une vie interminable...